Arthur C Clarke et le survol de Japet

Tiré de Futura-Sciences, transcription par un membre du forum

De même que Jules Verne avait inspiré, avec H.G Wells, les pionniers de l’astronautique qu’étaient Tsiolkovski, Von Braun et Goddard, de même la génération actuelle d’ingénieurs et d’astrophysiciens qui a construit les sondes spatiales comme Cassini, et qui en exploitent les données, est, elle, l’héritière d’Arthur C. Clarke et de son roman «2001 l’Odyssée de l’Espace». C’est sans doute pour lui rendre hommage que les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory lui ont demandé quelques commentaires sur le survol alors imminent de Japet du lundi 10 septembre 2007

Salut ! Ici Arthur Clarke, en ligne depuis ma demeure à Colombo, Sri Lanka.

Je suis très heureux de prendre part à cette cérémonie qui marque le survol de Japet par Cassini.

Mes salutations à tous mes amis - connus et inconnus - qui sont réunis pour cet événement important.

Je souhaiterais être avec vous, mais je suis maintenant cloué sur un fauteuil roulant par la Polio, et je ne quitterai plus le Sri Lanka.

Grâce à Internet, j’ai suivi la progression de la mission Cassini-Huygens depuis le moment de son lancement, il y a plusieurs années. Comme vous le savez, j’ai plus qu’un intérêt passager pour Saturne.

J’ai été vraiment stupéfié, début 2005, quand la sonde Huygens a renvoyé un enregistrement sonore depuis la surface de Titan. C’est exactement ce que j’avais décrit dans mon roman de 1975, Planète Impériale, quand mon personnage écoute les vents balayant les plaines désertes.

Peut-être était-ce un avant-goût de choses à venir ! Le 10 septembre, si tout se passe comme prévu, Cassini devrait nous donner la vue plus rapprochée de Japet que l’on ait jamais eue - l’une des plus intéressantes des lunes de Saturne.

La moitié de Japet apparaît aussi sombre que le goudron, et l’autre moitié aussi brillante que la neige. Quand Giovanni Cassini [NdT: Jean-Dominique Cassini dans les textes français] découvrit Japet en 1671, il ne put voir que le côté brillant. Nous en avons eu un meilleur aperçu quand Voyager 2 la survola en Août 1981 - mais c’était à presque un million de kilomètres de distance.

En comparaison, Cassini va passer à un petit peu moins de mille kilomètres de Japet.

C’est un moment particulièrement excitant pour les fans de 2001: l’odyssée de l’espace - parce que c’est l’endroit où l’astronaute solitaire Dave Bowman découvre le monolithe de Saturne, qui se révèle être la passerelle vers les étoiles.

Le chapitre 35 du roman a pour titre “l’Oeil de Japet”, et contient ce passage:

Japet approchait si lentement qu’elle donnait à peine l’impression de bouger, et il fut impossible de dire à quel moment exact elle cessa d’être un corps céleste pour devenir un paysage, quatre-vingt kilomètres plus bas. Les fidèles moteurs vernier donnèrent leurs dernières bouffées de poussée, puis s’éteignirent à tout jamais. Le vaisseau suivait son orbite finale, complétant une révolution toutes les trois heures a quelques 1300 kilomètres par heure - toute la vitesse qui était nécessaire dans ce faible champ gravitationnel.” [NdT: Ma traduction, je n’ai pas le roman en français sous la main]

Plus de 40 ans plus tard, je ne peux plus me rappeler pourquoi j’ai placé le monolithe de Saturne sur Japet. A cette époque, aux premiers jours de l’Age de l’Espace, les télescopes sur Terre ne pouvaient montrer aucun détail de ce corps céleste. Mais j’avais depuis toujours éprouvé une étrange fascination pour Saturne et sa famille de lunes. Incidemment, cette ‘famille’ a grossi à un rythme impressionnant ! Quand Cassini a été lancée, nous ne connaissions que 18 lunes. Si je comprends bien, nous en sommes à 60 - et le compteur tourne. Je ne résiste pas à la tentation de dire:

Mon Dieu, c’est plein de lunes !

Mais dans le film, Stanley Kubrick décida de placer l’action à Jupiter, et pas Saturne. Pourquoi ce changement ? Eh bien, d’une part cela faisait un récit plus direct. Et, plus important, le département des effets spéciaux ne put pas produire une Saturne que Stanley trouva convaincante.

C’était tout aussi bien car s’ils avaient réussi, le film aurait paru bigrement daté suite aux missions Voyager, qui montrèrent les anneaux de Saturne encore moins plausibles que tout ce qu’on avait pu imaginer.

J’ai vu pas mal de cas où la Nature imite l’art, et je garde les doigts croisés en attendant ce que Cassini va découvrir sur Japet.

Je tiens à remercier tout ceux qui participent à cette mission et au projet dans son ensemble. Il peut lui manquer la séduction des vols habités, mais les projets scientifiques sont bien plus importants pour la compréhension du Système Solaire. Et, qui sait, un jour peut-être notre survie sur Terre dépendra de ce que nous découvrons là-bas.

C’était Arthur Clarke, qui vous souhaite un survol réussi.

La bande annonce de 2001 l’odyssée de l’espace

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